Messages les plus consultés

samedi 24 mars 2012

L'hébergement de données de santé en Cloud soumis à des contraintes juridiques particulières

Les professionnels de santé (médecins exerçant en cabinet, en clinique ou dans un établissement de santé publique, pharmaciens, etc.) collectent une multitude de données à caractère personnel dans le cadre de leur activité, concernant le patient et sa santé. Ces informations apparaissent, entre autres, dans le dossier médical du patient, les résultats d'examen, les comptes rendus d'hospitalisation.

Le recours à un prestataire informatique pour le stockage et la conservation des données est devenu une pratique courante, y compris en mode Cloud, le cloud computing permettant notamment une gestion des données simplifiée (accessibilité, flexibilité, portabilité, etc.) et une réduction des coûts (investissements en matériel et logiciel réduits et facturation à l'usage).

Toutefois, professionnels de santé et prestataires Cloud doivent être vigilants : d'une part, le recours à un tiers pour héberger des données de santé ne décharge pas le professionnel de santé de ses obligations légales en matière de collecte et de traitement des données ; d'autre part, la fourniture de services d'hébergement de données de santé est soumise à un certain nombre de conditions.


1. Le professionnel de santé : responsable de traitement des données hébergées

On entend généralement par “donnée de santé” les informations relatives à l'état de santé (tant physique que psychique) d'un patient, recueillies ou produites à l'occasion des activités de prévention, de diagnostic ou de soins du patient. Il s’agit de données à caractère personnel, dont la collecte et le traitement sont régis par les dispositions de la loi Informatique et Libertés, complétée en l’espèce par le Code de la santé publique (CSP).(1)

    1.1 Les obligations spécifiques en matière de collecte et de traitement de données de santé
 
Les données de santé sont considérées comme des données sensibles, dont le traitement est en principe interdit, sauf exceptions. Les exceptions sont en réalité assez nombreuses puisqu’elles comprennent notamment, outre la plupart des traitements pour lesquels la personne concernée a donné son consentement exprès, les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé et mis en oeuvre par un membre d’une profession de santé.(2)

Les traitements de données comprennent tous types d'opérations qui permettent d'identifier une personne physique, directement ou indirectement, et notamment, le fait de collecter, enregistrer, conserver (et donc héberger), modifier, diffuser, détruire des données.

Les formalités préalables à la collecte de données de santé :
Selon le type de traitement envisagé, le professionnel de santé doit soit déclarer à la CNIL, soit obtenir son autorisation, préalablement à la mise en oeuvre du traitement de données. Les formalités (déclaration ou demande d'autorisation), varient en fonction du traitement concerné (ex: gestion des laboratoires d'analyses, traitements relatifs au dossier médical partagé, etc.).

Les obligations du responsable de traitement :
En matière de données de santé, le responsable de traitement est en principe le médecin exerçant à titre libéral, le dirigeant d'une clinique ou le chef de service de l'établissement de santé public en charge des traitements de données.

En qualité de responsable de traitement, le professionnel de santé est tenu de respecter plusieurs obligations. En cas de manquement à la loi, le responsable de traitement engage sa responsabilité. Ces obligations restent à sa charge, même en cas de recours à la sous-traitance pour l'hébergement des données. Il répond ainsi des manquements à la loi et des failles de sécurité causés par le prestataire Cloud. Le professionnel de santé doit notamment :

- Garantir la sécurité et la confidentialité des données : les données de santé sont soumises à un haut niveau de sécurité. Le Code de la santé publique impose au professionnel de santé le respect de référentiels de sécurité. En pratique, il doit prendre toutes précautions utiles pour empêcher que les données ne soient modifiées, effacées par erreur, ou que des tiers non autorisés aient accès au traitement. Il est donc tenu de mettre en oeuvre, au sein de son établissement de santé, des mesures de sécurité physique (telles que l’accès contrôlé aux locaux hébergeant les serveurs et/ou une liste des personnes autorisées à accéder aux données) et techniques (telles que serveurs sécurisés, utilisation de la carte de professionnel de santé pour accéder aux données). En cas d’hébergement par un tiers, il devra s'assurer que le prestataire Cloud met en oeuvre des mesures de sécurité suffisantes.

- Obtenir le consentement des patients concernés, les informer et garantir leurs droits : le consentement des patients pour la collecte et l'hébergement informatisé de données de santé doit être recueilli. Ce type de traitement ne peut être réalisé à leur insu, sauf exceptions.(3) En outre, le professionnel de santé doit : (i) informer le patient de l'identité des destinataires des données et, le cas échéant, des éventuels transferts de données hors Union européenne, et (ii) assurer le respect des droits des patients concernés, à savoir les droits d'accès, de rectification (mise à jour), de contestation et d'opposition (suppression/désinscription) au traitement de leurs données.

    1.2 Les sanctions encourues en cas de non-respect des obligations en matière de collecte et de traitement de données
En cas de manquement à ses obligations légales, le professionnel de santé encourt les sanctions suivantes :

- Sanctions administratives : en cas de manquement constaté à la suite d'un contrôle sur place, la CNIL peut prononcer un avertissement, une mise en demeure de faire cesser le manquement constaté dans un certain délai, ou si le professionnel de santé ne se conforme pas à la mise en demeure, une sanction pécuniaire d'un montant maximum de 300.000€, une injonction de cesser le traitement ou, le cas échéant un retrait de l’autorisation accordée par la CNIL.(4)

- Sanctions pénales : est puni d’un an d'emprisonnement et 15.000€ d'amende, le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de données de santé sans le consentement du patient concerné. Sont notamment punis de 5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende :
    - tout acte de cession à titre onéreux de données de santé identifiantes, directement ou indirectement, y compris avec l'accord du patient concerné ;
   - le fait de procéder à un traitement de données : (i) y compris par négligence, sans respecter les formalités préalables ; (ii) malgré l'opposition du patient concerné ; (iii) sans prendre les mesures de sécurité prescrites par la loi et (iv) sans le consentement exprès du patient concerné.


2. Le prestataire Cloud de données de santé à caractère personnel : des services d'hébergement soumis à conditions


L'activité d'hébergement de données de santé en Cloud nécessite, pour le prestataire, de respecter un certain nombre de conditions spécifiques.(5)

    2.1 La nécessité d'un agrément pour l’hébergement de données de santé à caractère personnel
Le prestataire d'hébergement de données de santé à caractère personnel doit obtenir un agrément pour exercer son activité. Cet agrément est délivré par le ministre chargé de la santé, qui se prononce après avis de la CNIL et d'un comité d'agrément des hébergeurs. L’agrément est valable pour une durée de 3 ans, renouvelable. A ce jour, 32 sociétés ou organismes ont obtenu l’agrément, soit pour l’hébergement des traitements de données de santé de leurs patients, soit pour l’hébergement de données de santé (dossier médical partagé ou dossier médical personnel) des patients d’organismes tiers.

L'obtention de l’agrément est soumise à la mise en oeuvre (i) de solutions techniques, d'une organisation et de procédures de contrôle assurant la sécurité, la protection, la conservation et la restitution des données hébergées et (ii) d'une politique de confidentialité et de sécurité. L'hébergeur doit ainsi démontrer sa capacité à assurer la confidentialité, la sécurité, l'intégrité et la disponibilité des données de santé qui lui seront confiées par les professionnels de santé.(6)

    2.2 Des engagements contractuels précis adaptés aux contraintes des professionnels de santé
Le prestataire Cloud de données de santé devra proposer un service adapté aux contraintes spécifiques des professionnels de santé, compte tenu notamment de la nature des informations hébergées, de leur niveau de confidentialité, de leur volume, etc. Que le professionnel opte pour un hébergement en Cloud public (ressources mutualisées, la plateforme cloud peut donc être partagée entre plusieurs utilisateurs), privé (infrastructure fermée, dédiée à l'utilisateur), ou hybride (permettant la communication entre les deux infrastructures), les engagements du prestataire devront être contractualisés.

Le Code de la santé publique (art. L1111-8) exige que la prestation de service d'hébergement  conclue avec un professionnel de santé fasse l'objet d'un contrat écrit comprenant a minima, les éléments suivants :
- la description des prestations couvertes par le contrat et des moyens mis en oeuvre par l'hébergeur pour la fourniture des services ;
- les modalités de mise à disposition des données, ainsi que la description des conditions de recueil de l'accord des patients concernés par ces données s'agissant tant de leur hébergement que de leurs modalités d'accès et de transmission. Seuls pourront accéder aux données hébergées les patients concernés et les professionnels de santé qui les prennent en charge ;
- la mention des indicateurs de qualité et de performance permettant la vérification du niveau de service annoncé (convention de performance ou Service Level Agreement) ;
- une information sur les garanties permettant de couvrir la défaillance éventuelle de la plateforme  par la mise en oeuvre, par exemple, d’une solution de redondance (duplication de l’infrastructure) afin de permettre la continuité de service sans interruption en cas de chute de l’infrastructure principale en routant le service vers l’infrastructure secondaire ;
- une clause de réversibilité relative à la restitution au professionnel de santé de l'ensemble des données externalisées, au terme du contrat.

En sus de ces informations, il conviendra de préciser au contrat : les mesures de sécurité mises en oeuvre (systèmes de traçabilité des accès, chiffrement des données), la répartition des responsabilités entre le professionnel de santé et le prestataire, et la localisation des centres serveurs.

En matière de cloud computing, il est en effet fréquent que les données circulent entre des centres serveurs situés dans des pays différents. Ces transferts, même s’ils sont transparents pour l’utilisateur, restent soumis aux dispositions de la loi Informatique et Libertés. Les transferts de données depuis le territoire européen vers des pays situés en dehors de l'Union européenne sont interdits, sauf vers un pays reconnu comme offrant un niveau de protection adéquat. En cas de recours à un service Cloud, le professionnel de santé, responsable de traitement, devra s’informer sur la localisation des centres serveurs auprès du prestataire, et en cas de transfert hors Union européenne, procéder aux formalités auprès de la CNIL, préalablement à la mise en oeuvre du service.


Il appartient donc tant au professionnel de santé qu'au prestataire Cloud de prendre des précautions suffisantes quant au traitement des données de santé : le professionnel de santé en communiquant ses contraintes d’utilisation du service au prestataire et en s’informant auprès de celui-ci sur la teneur des prestations et du contrat préalablement à sa conclusion, et le prestataire en faisant jouer son obligation de conseil auprès du professionnel de santé.

Les contraintes réglementaires dans le domaine des données de santé à caractère personnel étant particulièrement strictes, tout manquement à ses obligations par l’une ou l’autre des parties est soumise soit à des sanctions administratives, soit à des sanctions pénales, sans oublier la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle et l’impact négatif fort de ces manquements sur la réputation du professionnel de santé et/ou sur le prestataire de service Cloud. En atteste par exemple l'avertissement récemment prononcé par la CNIL à l'encontre d'un hébergeur de données de santé, ayant fait une déclaration mensongère dans son dossier de demande d'agrément. Celui-ci prétendait chiffrer les données médicales hébergées, ce qui était inexact.(7)

* * * * * * * * * * * *

(1) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée ; Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins (dite “Loi Kouchner”) ; Articles L.1110-4, L.1111-7, L.1111-8, R.1110-1, R.1111-1 et suivants du Code de la santé publique ; Articles 226-16 et suivants du Code pénal.
(2) Sur les données de santé, voir l’article 8 de la loi Informatique et Libertés.
(3) En cas d'hébergement, ce consentement n'est pas exigé dès lors que l'accès aux données détenues n'est pas partagé mais limité au professionnel ou à l'établissement de santé qui les a déposées, ainsi qu'au patient concerné.
(4) La CNIL dispose du pouvoir de réaliser des contrôles sur place de conformité à la loi Informatique et Libertés auprès des responsables de traitement. Ainsi, les agents de la CNIL peuvent, sur décision de son Président, accéder aux locaux des cabinets médicaux et autres établissements de santé, demander communication de tout document nécessaire et en prendre copie, recueillir tout renseignement utile, accéder aux programmes informatiques et aux données. L’objectif est d’obtenir un maximum d’informations, techniques et juridiques, pour apprécier les conditions dans lesquelles sont mis en œuvre les traitements de données personnelles. Depuis quelques années, les contrôles de la CNIL auprès des professionnels de la santé se sont intensifiés.
(5) Voir les articles L.1111-8 et R.1111-9 à 1111-15 du CSP.
(6) Les conditions de l’agrément et la liste des hébergeurs agréés sont accessibles sur le site web de l'Agence des Systèmes d'Informations Partagés de Santé (ASIP santé: http://esante.gouv.fr/).
(7) Voir communiqué CNIL du 9 janvier 2012 : "La CNIL sanctionne une déclaration mensongère d'un hébergeur de données de santé". En 2009, une société avait déclaré dans son dossier de demande d’agrément qu'elle chiffrait l'ensemble des données médicales hébergées, par un procédé dit de "chiffrage fort", et a obtenu l'agrément. Début 2011, lors d’un contrôle de la CNIL, celle-ci a constaté que les données médicales n'étaient pas chiffrées et qu'elles étaient accessibles aux administrateurs informatiques de l’hébergeur et non pas exclusivement au personnel de santé habilité (la société avait uniquement protégé certaines des données de santé par un codage créé en interne). La CNIL a considéré que le traitement de données était contraire à loi Informatique et Libertés et au Code de la santé publique qui impose de prévenir le Ministre de la santé de tout changement affectant les informations fournies lors de la candidature. En prétendant chiffrer toutes les données médicales, ce qui était inexact, et en n'informant pas le Ministre de la santé d'un tel changement de procédure, l’hébergeur n'avait pas respecté le Code de la santé publique et traitait donc les données de manière illicite.


Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mars 2012

3 commentaires:

  1. Si l'on constate des manquements nombreux, manifestes et durables de ce cadre dans les prestations proposées par certaines entreprises du secteur privé pour leurs clients professionnels de santé, et dans la mesure où selon toute vraisemblance la CNIL ne prononce jamais de sanctions en la matière et l'ASIP Santé ferme les yeux, vers quelle juridiction peut se retourner un citoyen pour faire respecter ses droits ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La CNIL a un pouvoir de contrôle et de sanction, qui peut être déclenché à la suite d'une plainte.

      L'Asip-santé n'a aucun pouvoir de sanction. Sa mission consiste à gérer les dossiers de demande d'agrément.

      Les sanctions, en cas de manquements aux dispositions de la loi Informatique et Libertés et du Code de la santé publique, peuvent être de nature pénale.

      Dès lors, une personne dont les données personnelles sont collectées, traitées et hébergées en infraction à ces dispositions légales, peut :
      (1) déposer plainte à la CNIL, l'autorité compétente en la matière, et
      (2) parallèlement, porter plainte auprès du procureur de la République, du Tribunal de Grande Instance du lieu de l'infraction ou du domicile de l'auteur de l'infraction.

      Dans les deux cas, il convient d'adresser un courrier expliquant le contexte et les faits reprochés.

      Supprimer
  2. La communication entre client et prestataire informatique est bien la clé d'un hébergement de données réussi. Une attention toute particulière portée au contrat d'hébergement permettra de s'assurer de la mention des clauses les plus importantes : niveau de services, sécurité et sauvegarde des données, clause de réversibilité, localisation des données etc. Voici un article qui mentionne ces aspects : http://www.ivision.fr/contrat-de-maintenance-le-sla-informatique/

    RépondreSupprimer