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mercredi 27 juillet 2011

Le blocage des sites de jeux en ligne non agréés par l’ARJEL : quelle défense pour les opérateurs ?

L’Autorité de régulation des jeux en ligne (l’ARJEL) est née avec la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent et de hasard en ligne. (1)

Désormais, les opérateurs peuvent exploiter un site de jeux d’argent et/ou de hasard en France, dans le cadre des activités autorisées par la loi et sous réserve d’obtenir l’agrément de l’ARJEL.

En parallèle, l’ARJEL est en charge d’une mission de lutte contre les opérateurs illégaux de jeux d’argent. Cette mission comprend notamment la possibilité de saisir le Président du Tribunal de grande instance pour demander le blocage des sites exploitant une activité illicite accessible sur le territoire français. Cette procédure, qui ne prévoit pas de mise en cause préalable de l’opérateur du site incriminé, vient d’être validée par la Cour d’Appel de Paris.

1. Les conditions de l’exploitation d’un site de jeux en ligne en France

Dans un bref communiqué de presse du 27 mai 2011, l’ARJEL déclarait que, dans le cadre de sa mission de lutte contre les opérateurs illégaux de jeux et paris en ligne, plus de 1000 sites non agréés avaient été placés sous surveillance, près de 550 sites non agréés avaient été mis en demeure de cesser leur activité en France et avaient ensuite procédé au “géo-blocage” des joueurs français avant la saisine du juge par l’ARJEL. 9 sites ont fait l’objet d’une saisine du Président du TGI de Paris, dont 2 ont fait l’objet d’une décision de blocage. Enfin plus de 150 sites non agréés faisaient l’objet de procédures de mise en demeure à leur encontre, à la date du communiqué. (2)

L’exploitation d’un site de jeux ou de paris en France est soumise à un agrément 

Seuls les opérateurs ayant obtenu un agrément délivré par l’ARJEL sont en droit de proposer au public français des jeux d’argent et de hasard en ligne, sous réserve du respect des conditions posées par la loi. (3)

Il existe trois catégories d'agréments, pour les paris hippiques, les paris sportifs et les jeux de poker en ligne. Chaque agrément est délivré pour une période de cinq ans, renouvelable.

Pour rappel, peuvent obtenir un agrément :
    (i) Toute personne qui propose au public des services de jeux ou de paris d’argent en ligne et dont les modalités sont définies par un règlement soumis à l'acceptation des joueurs ;
    (ii) Les opérateurs de jeux dont le siège social est établi soit dans un Etat membre de l’Union européenne, soit dans un autre Etat membre de l'Espace économique européen (Norvège, Islande et Liechtenstein) ;
    (iii) Les opérateurs de jeux qui remplissent les conditions prévues par la loi du 12 mai 2010, notamment les entreprises bénéficiant des capacités technique, économique et financière suffisantes pour faire face aux obligations en matière de sauvegarde de l’ordre public et de lutte contre les blanchiments de capitaux, le financement du terrorisme et le jeu excessif ou pathologique. L’ARJEL a ainsi publié un cahier des charges et un dossier des exigences techniques devant être mis en oeuvre par les opérateurs. (4)

Les conditions d’obtention de l’agrément sont particulièrement strictes, notamment en termes de surface financière et de contraintes techniques, afin de garantir la solidité de l’opérateur d’une part, et la robustesse technique (y compris les mesures de sécurité) du site web d’autre part.

A défaut d’agrément, l’opérateur d’un site de jeux d’argent accessible aux joueurs français est passible de sanctions pénales (trois ans d'emprisonnement et 90.000€ d'amende) et civiles.

Les pouvoirs de contrôle de l’ARJEL

Parmi ses attributions, l’ARJEL exerce une surveillance sur les opérations de jeux d’argent ou de paris en ligne, participe à la lutte contre les sites illégaux et peut agir en justice pour faire respecter la loi du 12 mai 2010.

A cet égard, l’ARJEL a le pouvoir d’adresser aux opérateurs de jeux non agréés une mise en demeure de cesser leurs activités et les invitant à présenter leurs observations dans un délai de huit jours. A l'issue de ce délai, en cas d'inexécution par l'opérateur concerné, le Président de l’ARJEL peut saisir le Président du TGI de Paris afin qu’il ordonne aux hébergeurs et à défaut, aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de bloquer l’accès au site litigieux. (5)

Dans le cadre de cette procédure spécifique, le Président de l’ARJEL assigne directement les hébergeurs et les FAI pour demander le blocage du site ; l’opérateur de jeux en ligne n’est donc pas partie à l’instance.


2. La procédure de demande de blocage du site de jeux et l’absence de mise en cause de l’opérateur

Dès lors que, mis en demeure, les exploitants de sites non agréés en France ne cessent pas spontanément leur activité, le législateur a prévu que l’ARJEL passe directement par les hébergeurs et les FAI pour rendre l’interdiction effective. Cette procédure vise à bloquer l’accès aux sites sans mise en cause préalable des opérateurs des sites de jeux.

Deux décisions de blocage ont été prises par le TGI de Paris en application de cette procédure depuis l’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2010. L’absence de mise en cause préalable des opérateurs concernés est à chaque fois critiquée et vient de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, soumise à la Cour d’appel de Paris.

Les décisions de blocage par le tribunal de grande instance de Paris 

Les deux premières décisions de blocage de sites illicites rendues par le TGI de Paris concernaient les sites Stanjames (société établie à Gibraltar) et 5Dimes (société établie au Costa Rica). Dans ces deux affaires, jugées respectivement le 6 août 2010 et le 28 avril 2011, le TGI de Paris a enjoint sept FAI à bloquer ces sites de jeux en ligne non agréés en France. (6)

Ces deux sites, qui offraient des jeux d’argent et paris en ligne aux internautes français sans avoir obtenu d’agrément préalable, ont été mises en demeure par l’ARJEL de cesser sans délai de proposer leurs services en France. Aucune suite n’ayant été donnée à ces mises en demeure, le Président de l’ARJEL a fait assigner les hébergeurs des deux sites internet litigieux ainsi que sept FAI (les sociétés Numéricable, Orange France, SFR, Free, Bouygues Telecom, Darty Telecom et Auchan Telecom) afin qu’ils mettent en œuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès aux sites litigieux, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur le territoire.

Parmi les arguments avancés en défense, les FAI invoquaient le fait que cette procédure tendant au blocage d’un site nécessitait de déterminer au préalable le caractère licite ou illicite de l’activité de l’opérateur de jeux. Pour ce faire, un débat contradictoire en présence de l’exploitant du site litigieux, principal intéressé à la procédure, était nécessaire, conformément au principe du droit à un procès équitable. Selon les FAI, l’absence de mise en cause de l’opérateur de jeux est contraire aux exigences de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Or, la procédure prévue par la loi du 12 mai 2010 a pour objet la demande de blocage des sites en cause et ne prévoit pas l’examen préalable et contradictoire de leur caractère licite ou illicite.

Ces arguments n’ont pas été reçus par le Tribunal : la loi du 12 mai 2010 n’a pas prévu que la mise en cause de l’opérateur soit une condition préalable à l’injonction sollicitée, la procédure ne visant pas l’opérateur mais les seuls FAI et hébergeurs. Le Tribunal a jugé que les droits de l’opérateur étaient préservés dès lors que ce dernier avait la possibilité de demander un agrément à l’ARJEL. En cas de refus d’agrément, l’opérateur dispose d’un recours en excès de pouvoir  devant le Conseil d’Etat contre la décision de l’ARJEL.

En conséquence, dans les deux affaires Stanjames et 5Dimes, le Tribunal a fait droit aux demandes de l’ARJEL et a enjoint aux hébergeurs et aux FAI de bloquer l’accès aux sites litigieux.

L’absence de mise en cause de l’opérateur ne porte pas atteinte au principe de présomption d’innocence 

Les FAI ont interjeté appel du jugement du TGI dans l’affaire Stanjames. L’un des FAI, la société Darty Telecom, a parallèlement soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité, ou “QPC”, la première relative à l’atteinte au principe de la présomption d’innocence de l’opérateur (art. 61 al.2 de la loi du 12 mai 2010), la seconde relative à l’atteinte au principe de l’égalité devant les charges publiques (art. 61 al.5 et 69 de la loi). (7)

Aux termes de la première QPC, Darty Telecom demandait si la procédure offrant au Président de l'ARJEL le droit de solliciter à l'encontre des FAI une injonction de bloquer l'accès à un site internet, au seul motif que l'éditeur d'un tel site n'a pas déféré sous 8 jours à une mise en demeure, était compatible avec le principe de la présomption d'innocence, consacré par l'article 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Darty Telecom critiquait le fait que cette procédure n'exigeait (i) ni de démonstration concrète, de la part de l'ARJEL, du caractère prétendument illicite du site internet, (ii) ni que l'éditeur du site puisse bénéficier du droit de contester en justice, de façon contradictoire et en temps utile, l'analyse faite par l'ARJEL.

Dans sa décision rendue le 28 juin 2011, la Cour d’Appel de Paris a jugé que cette première question était dépourvue de caractère sérieux et que la procédure contestée ne violait pas le principe de la présomption d’innocence dans la mesure où le mécanisme instauré par l’article 61 de la loi s’appuyait sur un constat factuel objectif (absence d’agrément et non réaction de l’opérateur à la suite de la réception de la mise en demeure de l’ARJEL) permettant au Président de l’ARJEL de saisir le tribunal aux fins de demander l’arrêt des services de jeux.

La Cour a ajouté que les droits de l’opérateur étaient préservés dès lors que celui-ci avait la possibilité d’intervenir volontairement à l’instance engagée devant le TGI et que les FAI et/ou l’hébergeur pouvaient également appeler l’opérateur en intervention forcée.

Aux termes de la seconde QPC, Darty Telecom demandait si le fait d’ordonner des mesures de blocage des sites litigieux à la charge des FAI, alors que le décret prévoyant les modalités d’indemnisation des surcoûts en résultant n’avait pas été publié, ne créait pas une atteinte au principe de l’égalité devant les charges publiques, au détriment des FAI.

La Cour d’Appel de Paris a jugé que cette question était également dépourvue de caractère sérieux et que la procédure contestée ne violait pas le principe de l’égalité devant les charges publiques. Les modalités de l’indemnisation des FAI doivent être fixées par décret (pouvoir réglementaire). Or, la contestation au moyen d’une QPC ne peut porter que sur une disposition législative. (8)


L'action introduite par le Président de l’ARJEL a pour but de faire bloquer l’accès aux sites non agréés et jugés illégaux par l’ARJEL. La mesure de blocage de site sollicitée auprès du Tribunal de grande instance est susceptible de porter une atteinte grave à l’activité économique de l’éditeur du site concerné, voire d’y mettre un terme. L’opérateur mis en demeure par l’ARJEL qui souhaite justifier de la licéité de son activité et/ou qui estime que son activité n’entre pas dans le champ d’application de la loi du 12 mai 2010 peut faire valoir ses droits, en répondant à l’ARJEL et, le cas échéant, en n’hésitant pas à intervenir volontairement à l’instance initiée par l’ARJEL.

Dans les deux affaires Stanjames et 5Dimes, l’activité des sites en cause était manifestement illicite au regard de la loi française : les sites proposaient des jeux d’argent et de hasard en ligne, notamment des paris sur des événements sportifs en France (football, etc.), ils étaient accessibles aux joueurs en France et n’avaient pas fait de demande d’agrément auprès de l’ARJEL.

Il convient cependant de rappeler que la loi du 12 mai 2010 porte spécifiquement sur les paris d’argent hippiques et sportifs, et les jeux de poker. Il existe des variantes de jeux en ligne dont le caractère licite ou illicite mériterait d’être examiné par les tribunaux afin de préciser le périmètre d’application de la loi du 12 mai 2010 par rapport au droit des jeux, sachant que le texte de la loi de 2010 doit être ré-examiné avant la fin de l’année 2011.


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(1) Loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.
(2) Communiqué ARJEL du 27 mai 2011 : “La lutte contre les opérateurs illégaux de jeux et paris en ligne”.
(3) Article 3 et articles 56 et s. de la loi du 12 mai 2010.
(4) Voir notamment les articles 10, et 21 à 25 de la loi du 12 mai 2010, l’arrêté du 17 mai 2010 portant approbation du cahier des charges applicable aux opérateurs de jeux en ligne et le décret n°2010-509 du 18 mai 2010 relatif aux obligations imposées aux opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne en vue du contrôle des données de jeux par l’Autorité de régulation des jeux en ligne.
(5) Le Président de l’ARJEL peut également saisir le Président du TGI de Paris aux fins de voir prescrire toute mesure destinée à faire cesser le référencement du site d'un opérateur non agréé par un moteur de recherche ou un annuaire.
(6) TGI Paris, référé 6 août 2010, Arjel c/ Stés Neustar, Numéricable et a., (affaire Stanjames) et TGI Paris, référé, 28 avril 2011, Arjel c/ SAS Numéricable et a. (affaire 5Dimes)
(7) La QPC a été instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n°2008-724) et précisée par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009. Entrée en vigueur le 1er mars 2010, la QPC institue un contrôle de constitutionnalité a posteriori. Cette procédure permet à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une disposition législative à l’occasion d’un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire, lorsqu’il estime qu’un texte porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
(8) CA Paris, 28 juin 2011, n°11/10112, Darty Telecom c/ Numéricable et autres.



Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat

Juillet 2011

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